Portrait Souleymane Diamanka, poète nomade
Publié le 21 avril 2025

Originaire des Aubiers, le poète-slameur et globe-trotteur a conservé le quartier dans son coeur. De passage à Bordeaux, il raconte ses débuts qui ont façonné sa langue et son art.
La pluie ne s’arrête plus en ce début d’après-midi. Sur les marches du parvis de la Salle des Fêtes Bordeaux Grand-Parc, Souleymane Diamanka tire tranquillement sur sa cigarette, et accueille chaleureusement. L’artiste bordelais qui a grandi aux Aubiers et habité au Grand Parc, est chez lui. Dans quelques heures, il sera sur scène en tant que parrain du spectacle proposé par l’association Alifs Si personne n’en parle… parlons-en
(lire le mag Bordeaux n°500). Une comédie théâtrale écrite et jouée par des habitants des Aubiers et les enfants de différents quartiers de Bordeaux.
Posé dans une loge, il se raconte. Douce et vibrante, portée par un optimisme militant, sa voix transporte : « Quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je ne disais pas pompier ou astronaute : je voulais être poète. »
Une rencontre qui change tout
L’enfant de Dakar, où il est né en 1974, est arrivé à Bordeaux deux ans plus tard avec mère et fratrie. Son père, venu chercher du travail à l’usine Ford de Blanquefort, avait joué les éclaireurs. À la maison, ses parents parlent le peul. Le français viendra de l’extérieur. « Mes parents ne savaient pas lire et écrire. La première fois que j'ai entendu la voix de mon père, c'est sur une cassette. La première fois qu'il a entendu mes pleurs de nourrisson, c'est aussi sur cassette. Il nous disait : "tu vas devenir les mots que tu prononces le plus souvent, donc fais attention à ce que tu dis". »
À l’école des Aubiers, une rencontre va transformer sa vie. Celle de l’écrivain et poète Dominique Boudou, son instituteur, qui va le pousser à écrire. Toute l'éducation des Peuls se fait avec des dictons, des proverbes, des aphorismes. Quand j'ai rencontré cet instituteur-poète, je me suis dit : "il parle comme papa et maman, en fait".
Debout sur le pont de Cracovie, les yeux orageux, je regarde les Aubiers. Les murs ont une mémoire. J’entends des souvenirs qui éclatent comme des miroirs.
L’acoustique du lavomatique
Les Aubiers, Souleymane Diamanka en a fait sa fondation : « Nous étions un village gaulois. On allait au lavomatique, parce que c'est là qu'il y avait une meilleure acoustique. On prenait deux magnétophones, un pour la musique, l'autre pour s'enregistrer, et on mettait notre voix. On traînait aussi dans les couloirs pour faire nos chorégraphies, jouer aux échecs, s'apprendre les langues les uns des autres. Ce quartier a nourri ma manière de lire le monde. »
Le souvenir lui ramène un poème lointain : « Debout sur le pont de Cracovie, les yeux orageux, je regarde les Aubiers. Les murs ont une mémoire. J’entends des souvenirs qui éclatent comme des miroirs. Et leurs débris qui prononcent mon prénom dans le noir… ».
À la fin des années 1980, le rap et la culture hip-hop prennent toute leur place en France. Le bon moment pour prendre le micro et plaquer ses textes sur ces nouveaux sons, fort d’une culture plus portée vers Léo Ferré que les rappeurs américains. En 1991, il fait la première partie de NTM à Barbey via l’association Musiques de Nuit, à seulement 17 ans.
Un journaliste m'avait dit que le rap en français était aussi naturel que du flamenco en suédois.
Des mots qui voyagent
« C’était le premier vrai concert après les kermesses et les fêtes de quartier. Puis j'ai eu la chance de suivre des ateliers d'écriture menés par Akhenaton, du groupe IAM, au tout début du phénomène rap. Lors de ma première émission de radio en 1989, un journaliste m'a dit que le rap en français était aussi naturel que du flamenco en suédois. Dans deux ans, vous ferez tout autre chose.
Et ça fait 50 ans que le hip-hop est là en France. Je suis fier d’avoir le même âge que lui. »
Entre les États-Unis, l’Éthiopie, le Sénégal, le Danemark, entre autres, Souleymane Diamanka a alimenté ses textes, fait voyager sa prose, emplumé son éventail de langues. Deux albums, deux spectacles et six livres plus tard, sa venue au Grand Parc, comme nombre d’ateliers qu’il anime, est un élan sincère : « À chaque fois que je reviens, c'est comme si je reprenais du carburant pour repartir loin, ailleurs. »