L'égalité c'est toute l'année : les femmes en premières lignes face à l'urgence climatique

Publié le 8 décembre 2024
 
À Bordeaux, l'égalité c'est toute l'année ! Retrouvez au fil des mois, une série de portraits autour de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Épisode 10 : Éclairage sur l'écoféminisme avec Maureen Bal, doctorante en science politique à l'Université de Bordeaux (Campus Montesquieu), à l'occasion de la Journée mondiale du Climat célébrée le 8 décembre.
Une illustration de l'artiste bordelaise Manon Veaux,
Une illustration de l'artiste bordelaise Manon Veaux, "La femme mousse végétale"  © Manon Veaux
Mouvement né dans les années 1970 sous l'impulsion de Françoise d'Eaubonne (1920-2005), l'écoféminisme tente de comprendre comment la domination d'un patriarcat menace non seulement l'environnement, mais aussi la condition des femmes, via des mécanismes de destruction toujours à l'oeuvre aujourd'hui. Deux procédés de domination que la recherche universitaire et scientifique relie intimement. Le titre de l'ouvrage de référence de l'autrice française donne un aperçu clair de son ambition : "Le féminisme ou la mort", dans lequel elle mentionne pour la première fois le terme d' "éco-féminisme", en 1974.

Un phénomène qui franchira rapidement l'Atlantique pour gagner les campus américains. En France, le mouvement intellectuel fait long feu. Ce n'est qu'après deux décennies de mouvements sociaux, de lutte antiraciste, antimilitariste et antihomophobie, et la création de nouveaux foyers de contestation féminine notamment en Inde, que le terme reprend de la vigueur au tournant des années 2000. C'est cette question du dialogue transfrontalier entre les luttes qu'explore en profondeur la chercheuse bordelaise Maureen Bal, sous la forme d'un projet de thèse baptisé : "Les impensés de l'écoféminisme : étude comparative des écoféminismes français et étasunien (1970-2020)", sous la direction du professeur Patrick Chastenet.

Les femmes premières victimes

Le postulat de l'écoféminisme est simple tout en étant vertigineux : la crise environnementale et les violences sociétales ou physiques faites aux femmes seraient intimement liées, l'héritage d'une domination masculine séculaire. Dans un monde contemporain dominé par le productivisme, les femmes sont maintenues dans le rôle de matrice et des soins. En première ligne quand se manifestent les effets du changement climatique, elles en sont aujourd'hui, avec leurs enfants, les principales victimes, notamment dans les pays pauvres les plus sévèrement touchés.

Responsables du foyer, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en nourriture, en eau, de l'entretien du logis, elles doivent affronter les déplacements contraints par les sécheresses, les famines, tout en conservant leur rôle de responsable du cercle familial. Des risques qui peuvent les entraîner plus facilement dans la pauvreté, comme le signalent Oxfam et ONU Femmes. Les catastrophes naturelles et les mouvements migratoires qu'ils entraînent les rendent même plus vulnérables aux violences sexuelles.

"Des luttes en imbrication"

A cette critique, l'écoféminisme ajoute un questionnement sur le sujet colonial et l'exploitation par le Nord global des ressources des pays du Sud (Amérique du Sud, Afrique et Asie) toujours d'actualité. "Toutes ces luttes se rassemblent. Ce sont des mécanismes de lutte qui sont en imbrication", explique Maureen Bal. Son travail explore également les grands mouvements de contestation passés, comme l'occupation du camp militaire de Greenham Common, en Angleterre, sur lequel des femmes ont manifesté durant 19 ans (1981-2000) contre l'installation de missiles nucléaires. Ou encore le Women's Pentagon Action, qui a rassemblé 2 000 femmes devant le siège principal de l'armée américaine, unies contre l'escalade de l'armement en pleine guerre froide, et le mouvement Chipko en Inde, associant oppression patriarcale des femmes et des forêts.

Depuis une petite dizaine d'années, le mouvement prend de la vigueur dans les universités françaises. Les marches pour le climat, qui ont largement mobilisé la jeunesse, drainent à nouveau ces idées, comme lors du mouvement de protestation contre l'enfouissement de déchets nucléaires dans la commune de Bure (Meuse). Des organisations qui donnent une large place à la revendication féministe, mais aussi LGBTQIA+.
  

L'universitaire Maureen Bal explore la question écoféministe sous la forme d'une thèse comparative entre France et Etats-Unis
L'universitaire Maureen Bal explore la question écoféministe sous la forme d'une thèse comparative entre France et Etats-Unis

"Une décroissance nécessaire"

La sociologue Constance Rimlinger a récemment cartographié ces mobilisations pour en dévoiler toute son importance et sa répartition. Parmi les autrices importantes de l'époque, on note Myriam Bahaffou, Catherine Larrère, Emilie Hache ou encore Isabelle Cambourakis.

"L'écoféminisme tend à prendre en compte la nécessaire décroissance de nos sociétés. Que le système ne peut continuer en imaginant que les ressources sont illimitées. La question de la subsistance est essentielle à ce titre", souligne Maureen Bal. Plus responsables, plus éthiques, nos modes de vie doivent évoluer vers moins d'exploitation humaine ou animale et reposer davantage sur l'autoproduction. Le lien démocratique horizontal et la décentralisation des décisions étant également des chevaux de bataille du mouvement.