Projet de loi de finances : 16,5 millions d'euros de pertes pour la Ville de Bordeaux. "Son impact serait inédit"

Publié le 5 novembre 2024

Le projet de loi de finances 2025 (PLF) présenté par le gouvernement en octobre va fortement pénaliser les collectivités locales, comme la Ville de Bordeaux. Cette ponction destinée à réduire les déficits publics de l'Etat, pourrait entraîner des conséquences sur les capacités d'investissement de la Ville et la qualité des services publics de proximité fournis aux Bordelais.
Explications avec Claudine Bichet, adjointe au Maire chargée des finances, du défi climatique et de l'égalité femmes-hommes.

Claude Bichet est adjointe au Maire chargée des finances, du défi climatique et de l'égalité femmes-hommes.
Claude Bichet est adjointe au Maire chargée des finances, du défi climatique et de l'égalité femmes-hommes.
Quelles pourraient être les conséquences du Projet de loi de finances sur le budget de la Ville de Bordeaux ?

Ce projet, tel qu'on le lit aujourd'hui, et qui peut encore évoluer, représente pour le moment 16,5 millions d'euros de perte pour la Ville sur le prochain exercice. Sur ce chiffre, 15 millions vont concerner le budget de fonctionnement, dont les dépenses des services publics du quotidien, et 1,5 million l'investissement.

En clair, une hausse des cotisations sociales payées par la mairie pour ses agents va représenter avec certitude 6 millions d'euros. Ces prélèvements seraient pérennes, d'autres hausses sont même annoncées pour 2026 et 2027.

8 millions s'apparenteraient à une "mise en réserve", créée dans le cas où les collectivités territoriales auraient dépensé plus que l'inflation en 2024. Au sujet de cette mesure, nous resterions dans l'incertitude jusqu'à la mi-2025, puisqu'il faudrait attendre la clôture des comptes 2024 des collectivités françaises (votée en juin chaque année), le bilan annuel, pour être fixé sur son montant.

"De l'argent prélevé pour des faits de gestion dont nous ne sommes absolument pas responsables"

 
Vous semblez contester la légitimation de cette décision qui vise principalement les collectivités des grandes agglomérations. Pourquoi ?


L'un des grands paradoxes de ce PLF, c'est qu'il est appliqué aux plus grandes villes et agglomérations, présumées "riches", alors que c'est bien dans ces lieux que se concentrent deux tiers de la précarité et 80% des gaz à effet de serre émis en France. Impacter les grandes collectivités, c'est se tirer une balle dans le pied, tant sur le front de la lutte contre la pauvreté que sur celui de la transition écologique. Sur ce dernier point, les collectivités sont, de loin, les plus actives alors que l'Etat tergiverse depuis bien trop longtemps. La production d'énergie renouvelable, la décarbonation des mobilités, l'adaptation globale au changement climatique, comme le fait de végétaliser pour apporter des îlots de fraîcheurs urbains dans la ville, ne peuvent se concrétiser qu'à l'échelle locale.

Autre paradoxe, ce sont les collectivités locales parvenant le mieux à piloter leur trajectoire financière qui vont être pénalisées. Cet argent nous serait prélevé pour des faits de gestion dont nous ne sommes absolument pas responsables, puisque, contrairement à l'Etat, nous avons une obligation d'équilibrer nos comptes en fonctionnement et nous ne pouvons nous endetter pour investir que jusqu'à une certaine limite. À l'échelle nationale, la dette des collectivités représente seulement 8% de la dette publique totale, alors que nous représentons 70% des investissements publics locaux.

Ces ponctions, telles que proposées dans le projet de loi de finances, seront prises sur les contributions des Bordelais, normalement destinées à financer des projets locaux nécessaires aux habitants, et non pour réduire la dette de l'Etat.

Ceci contrevient au principe de libre administration des collectivités locales inscrit dans la Constitution. Ce qui est grave sur le plan démocratique.

  

Le rapport sur les orientations budgétaires de l'année 2025 est débattu lors de la séance du Conseil municipal du mardi 5 novembre.
Le rapport sur les orientations budgétaires de l'année 2025 est débattu lors de la séance du Conseil municipal du mardi 5 novembre.
Les investissements déjà programmés par la municipalité seront ébranlés par cette perte financière ?

Sur le court terme, nous allons tout faire pour que les investissements, programmés sur plusieurs années, ne soient pas touchés.

Sur le plus long terme, si nous n'avons plus la capacité d'épargner, les choses évolueront nécessairement. Pour prendre la comparaison avec un ménage, l'épargne lui permet d'investir et de rembourser des prêts qui financent une partie de ses investissements. Ce qu'on nous annonce aura forcément un impact fort sur notre épargne en l'amputant de façon très sévère. Nos capacités à investir et à emprunter seront ainsi diminuées, ce qui est très problématique pour l'avenir de notre ville.

"Le coût de l'inaction climatique ne doit pas être sous-estimé"

 
En quoi conserver cette capacité d'investissement est primordial pour l'avenir de la Ville de Bordeaux ?


Des villes comme les nôtres, en très forte croissance démographique, ne peuvent s'arrêter de construire des écoles ou des gymnases dans les nouveaux quartiers qui sont en train de sortir de terre, par exemple. Les investissements d'aujourd'hui doivent aussi permettre d'anticiper au mieux les effets du changement climatique afin que notre ville reste vivable. Le coût de l'inaction climatique ne doit pas être sous-estimé : ne pas investir aujourd'hui pourrait entraîner des conséquences très lourdes demain, tant sur le plan financier que sur la qualité de vie. Les futures générations en paieront inéluctablement le plus lourd tribut si nous n'agissons pas dès maintenant.
  

La Ville a tenu à alerter les Bordelais sur les conséquences du projet de loi de finances à travers une campagne d'affichage sur la façade du Palais Rohan.
La Ville a tenu à alerter les Bordelais sur les conséquences du projet de loi de finances à travers une campagne d'affichage sur la façade du Palais Rohan.
Afin de mieux évaluer la portée de l'effort demandé à la Ville, quels services publics disposent d'un budget annuel équivalent à cette perte de 16,5 millions d'euros ?

C'est à peu près notre budget annuel dédié au périscolaire (15 millions), dont les familles bordelaises ont un énorme besoin. Depuis 2020, nous avons considérablement augmenté le nombre de places proposées les mercredis et durant les vacances scolaires. Tous les Bordelais ne disposent pas de solution de garde pour leurs enfants, avec des membres de la famille à proximité. C'est aussi l'équivalent de la moitié du coût pour la Ville des places en crèches. Autrement dit, cela pourrait conduire à fermer 50 % de ces places ! Ce sont des exemples parlants, même s'il en existe de nombreux autres.

"Nous ne toucherons pas à la taxe foncière"

Quel serait l'impact immédiat sur les services publics, dont les Bordelais sont utilisateurs ?

Ces mesures vont nous obliger à travailler en urgence sur le volet fonctionnement, et sans doute à réduire certaines dépenses, impactant ainsi des services de proximité. Et ce, alors que nous nous battons depuis le début du mandat pour maintenir et améliorer les services, notamment auprès de ceux qui en ont le plus besoin. Sur le volet recettes, les tarifs de certains services publics pourraient évoluer. En revanche, nous ne toucherons pas à la taxe foncière, que nous estimons déjà élevée à Bordeaux.

Ce qui est certain, c'est que cette ponction sans précédent de l'Etat sur les collectivités va nous confronter à des choix cornéliens dans une période où les crises s'enchaînent avec de lourdes conséquences sociales.
  

La Ville maintiendra le cap en matière de transition écologique. Des investissements nécessaires pour préparer l'avenir de la commune.
La Ville maintiendra le cap en matière de transition écologique. Des investissements nécessaires pour préparer l'avenir de la commune.

"Nous avons déjà mis en place des plans d'économie"

 
Dans ce contexte, la Ville est-elle préparée à affronter un nouveau choc ? Quelle est sa situation financière actuelle ?


Nous avons réussi à garder un cap, malgré les nombreuses crises qui ont frappé la Ville de Bordeaux de plein fouet ces quatre dernières années : 20 millions d'euros de choc Covid, une crise énergétique et inflationniste qui aura coûté 30 millions d'euros en 2023, puis 14 millions en 2024, auxquelles vous devriez ajouter ces 16,5 millions à présent.

Mais nous sommes parvenus à assurer une bonne gestion afin que notre ville puisse préparer l'avenir en conservant, et même en augmentant, sa capacité à investir. La Chambre régionale des comptes le reconnaît, elle qui écrit dans son rapport remis en octobre que la situation de la Ville de Bordeaux est "saine". Certes, nous avons augmenté la taxe foncière pour faire face à la crise énergétique, mais de manière très modérée (+4,5%) en comparaison de nombreuses autres communes. En parallèle, nous avons mis en place des plans d'économie, à travers notamment des mesures de sobriété énergétique, la rénovation énergétique de nos bâtiments et en réorganisant certains services publics afin de mieux utiliser chaque euro investi.

Si ce projet de loi de finances se concrétise, nous pourrons nous inquiéter sérieusement des conséquences, tant son impact serait inédit dans son ampleur, et parce que ses effets se reproduiront durant plusieurs années consécutives. Les services de proximité et les investissements seront forcément pénalisés, à rebours de ce que les nombreuses urgences écologiques et sociales nous imposent dès aujourd'hui.
  

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Vous trouvez ça absurde ?
Nous aussi.
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